Publier des articles sur l'Indépendant du 4e depuis plus de 8 ans réserve quelques petites satisfactions.
Parmi, celles-ci, je compte les messages assez nombreux que je reçois dans la boîte mail de l'Indépendant du 4e pour me demander des précisions, des informations, le droit d'utiliser mes photographies (parfois pour des ouvrages universitaires très sérieux). Cependant, je prends encore plus de plaisir à recevoir des messages qui apportent des compléments à mes propres articles. A titre d'exemple, j'ai reçu de la part d'un lecteur prénommé Matthieu à propos de l'article que j'avais publié le 30 juillet 2010 à propos de la façade d'un immeuble un peu surprenant : celle du 58 rue du roi de Sicile.
Ce bâtiment du 58 rue du roi de Sicile a d'après lui été commandé par l'entreprise des Casquettes SOOLS qui appartenait aux frères Charles et Maurice Solinski dont il est un témoignage de la réussite dans l’Entre-deux-guerres. Le souvenir d'une saga entrepreneuriale et familiale qui a eu pour décor en grande partie le 4e arrondissement.
Je reproduis ci-dessous -en les modifiant à peine- des extraits du message que mon lecteur m'a envoyé :
"Avec la fin du premier conflit mondial et l’avènement des « années folles », l’industrie de la casquette prend un nouvel élan. Comme dans des nombreux autres pays d’Europe et d’Amérique, la société des loisirs se développent rapidement, créant une demande particulière de la part de la gente masculine aisée qui redoute encore de sortir tête nue. La casquette, autrefois associée aux couches populaires de la société ou à un élément de tenue professionnelle, devient un accessoire de mode raffiné.
Les entreprises de production de casquettes étaient en très grande majorité installées dans le quartier historique du Marais qui accueillait depuis la seconde moitié du 19ème siècle de nombreux migrants juifs d’Europe, faisant du coeur de ce quartier un quasi ghetto que les habitants avaient eux-même baptisé du nom de « Pletzl » (mot yiddish signifiant petit place). C’est au coeur de ce quartier qu’est donc logiquement installée la fabrique de casquettes des frères Charles et Maurice Solinski, au 17 de la rue Vieille du Temple* pour être précis.
Les deux frères se sont cependant démarqué du lot en créant une marque de chapeaux et de casquettes au nom fortement anglo-saxon et qui suggère les prémisses de la fascination qu’exercera l’Amérique sur les sociétés européennes dont les soldats stationnés à la fin de la première guerre mondiale seront les premiers ambassadeurs. Cette marque de couvre-chef est donc SOOLS. Si on ne trouve nulle explication concrète sur l’origine du nom, on peut s’amuser à imaginer que les frères Maurice et Charles ont contracté leur nom de Solinski en Sol, doublant le O pour faire plus américain et y adjoignant un S pour faire plus commercial. Leur attirance supposée pour l’Amérique les conduira même jusqu’à devenir les distributeurs exclusifs des chapeaux Stetson en France.
Pour le marché de la casquette, ils ont créé au début des années 20 un label ciblant de manière claire une part importante d’un marché renaissant : la casquette Grand-Sport. A grand renfort de publicités dans la presse illustrées, ils investissent le domaine des courses cyclistes et notamment les fameux 6 jours du vélodrome ou le non moins célèbre tour de France, en faisant avec leur casquette du véritable placement de produit. Organisation de challenge, primes aux vainqueurs avec cérémonies de remise de chèques et de la fameuse casquette chez le chapelier de la ville étape, les frères Sools sont rompus à toutes les techniques commerciales. De cette époque nous est parvenue la fameuse série de clichés réalisés par l’agence de presse Meurisse lors du tour de France 1929. Arborant plus ou moins fièrement leur « casquette Sools », les coureurs sont transformés en véritable présentoir commercial.
De succès en succès, mais confrontés aussi à de nombreux mouvements sociaux suites à des « ajustements de salaires » sans doute peu philanthropiques, les deux frères Solinski se sont installés de manière exceptionnelle dans le paysage industriel français. Ils ont tous deux leur légion d’honneur. Joséphine Baker porte leurs casquettes, comme la star du cyclisme Charles Pélissier. Milton ou Al Brown, lorsqu'ils saluent, révèlent leur nom dans la coiffe de leur chapeau. Ils ont confié à Adolphe Mouron, dit Cassandre, l’un des meilleurs illustrateurs de l’époque (grand prix de l'Exposition internationale des arts décoratifs), la promotion de leur « Grand-Sport ». Il réalisera pour eux en 1925 puis en 1931, deux chefs d’œuvres du graphisme des années 20. Leur activité commerciale s’est à ce point développée qu’ils font construire en 1925 un bâtiment neuf pour accueillir leurs nouveaux ateliers".
C’est Georges Pradelle, architecte en vue dans la capitale, qui réalise ce bâtiment dans le plus pur style art déco. Ce bâtiment [situé] au 58 rue du Roi de Sicile** est une affirmation de la santé de l’entreprise et de l’encrage de la maison Sools dans la modernité de son époque. En plus de ce siège, perçu comme futuriste par les résidants du quartier, la maison Sools se targuent dans ses publicités de détenir pas moins de douze points de vente dans la capitale dans les années 20. L’une de ces boutiques [était située] à l’angle des rues de Turenne et St Antoine.
Le dernier témoignage de l’existence de la maison Sools que nous avons trouvé date du mois d’août 1940. Dans un encadré du journal Le Temps, les frères Maurice et Charles Solinski annoncent à leur clientèle qu’ils n’ont jamais quitté la France et que leur activité commerciale se poursuit. Ils se sont installés depuis le 10 juin 1940, soit quelques jours avant la signature de l’armistice entre le gouvernement français et l’armée allemande, dans une petite ville du sud ouest de la France. Ils précisent encore que leurs 17 boutiques sont encore ouvertes".
*[Note de l'Indépendant du 4e : le 17, rue Veille-du-Temple est situé dans le même pâté de maisons que le 58 rue du Roi de Sicile]
**Pour écrire cet article et vérifier ma source principale (petit réflexe d'historien), j'ai acheté un document qui atteste l'existence de l'entreprise des frères Solinski situé au 58 rue du roi-de-Sicile. Voici eb effet une facture qui date de 1931 :
On peut observer dans le coin en bas à gauche l'adresse de l'entreprise qui était bien situé au 58 rue du Roi-de-Sicile :
L'auteur du message qui est à l'origine de cet article sur les frères Solinski me demande de lancer un appel. Si des personnes possèdent des témoignages concernant cette entreprise de casquettes et son activité dans le Marais, il souhaite que je lui transmettre les informations que je pourrais obtenir. Si tel est le cas, envoyez-moi un message à [email protected] et je ferai suivre. Merci !
Bonjour Emmanuel
Concernant Sools, je peux completer
peut-être ton article en te rappelant
que la maison Sools avait une boutique à l'angle de la rue de Turenne et de la rue saint Antoine.
Actuellement boutique Sncf, elle fait
partie des trois boutiques à la façade
classée ou inscrite MH en 1984.
(avec la boucherie rue Mahler-Breakfest in America et la boulangerie
du 13 même rue , angle rosier ,qui a
"bénéficié d'une restauration récemment" masquant les decors fixés
sous verre !!!!).
Amitiés
FRANCIS Marchand
Rédigé par : Francis Marchand | dimanche 12 juin 2016 à 12h19
Merci Francis pour cette précision... qui était dans l'article (voir la fin de l'avant dernier paragraphe) mais tu avais du lire trop rapidement !
J'ai déjà un article de prêt avec les photos de cette façade de l'angle Turenne/Saint-Antoine. A paraître bientôt !
Merci à la personne qui m'a contacté par mail et dont le père a travaillé dans l'entreprise SOOLS de 1932 à 1975.
L'enquête avance !
Rédigé par : Emmanuel DELARUE | dimanche 12 juin 2016 à 13h49