Depuis quelques mois, la façade de l'église Saint-Paul-Saint-Louis semble avoir revêtu un voile de crêpe comme en portaient jadis les femmes en deuil. Lors du Conseil d'Arrondissement du mardi 10 juin 2008, l'approbation du principe de restauration de cette façade a été adoptée, comme cela avait été annoncé précédemment (voir mon article du 23 mai 2008).
Christophe Girard, maire adjoint du 4e chargé de la culture (il est aussi, on le sait, maire adjoint pour l'ensemble de la ville de Paris) a présenté la délibération. En préambule, Christophe Girard, dont on ne peut nier la bonne connaissance du monde artistique contemporain s'est laissé aller à une "petit rappel historique" en lisant une note pour le moins imprécise... (Il est vrai qu'en la lisant, il n'a pas semblé complètement convaincu). Voici donc quelques affirmations qui m'ont pour le moins surpris :
1°) L'idée que cette église, construite par les jésuites, dans le cadre de la Contre-Réforme, se caractériserait par une nef unique est fausse puisque dans cette église, on trouve deux transepts (qui ne sont pas moins saillants que dans la cathédrale Notre-Dame). Il s'agit ici d'une double erreur. Les églises à nef unique sont en fait typique des ordres franciscains et dominicains du XIIIe siècle avec un but certes identique à celui des Jésuites : lutter contre "l'hérésie" (cathare pour les uns, réformés pour les autres) et donc reconquérir les âmes perdues (On trouve par exemple une magnifique église à nef unique à l'église des Jacobins de Toulouse). La 2e erreur est que ce qui fait la caractéristique majeure des églises jésuites est leur dôme, sur le modèle de l'église du Gesù à Rome. Cette copie sur un modèle "ultra-montain" était un rappel du fait que la compagnie de Jésus fondée par Ignace de Loyola ne reconnaissait d'autre hiérarchie que celle du pape (sans donc accepter celle des évêques ou du roi). Le dôme par sa forme évoque la prétention au pouvoir universel du souverain pontife. Il est vrai, cependant que d'autres dômes parisiens non inspirés par les Jésuites datent de la même époque : par exemple, la Chapelle du Val-de-Grâce, celle de la Sorbonne ou celle des Invalides.
2°) Sa seconde erreur a été de dire que la façade s'inspire de celle de Saint-Gervais-Saint-Protais. Il suffit d'aller admirer cette façade qui vient d'être superbement restaurée (je lui consacrerai bientôt un article) pour voir que cette façade est à Paris le manifeste de l'art le plus classique qui soit. Respectant les préceptes de l'architecte italien de la Rénaissance, Vésale, on y voit un 1er étage avec des colonnes doriques, un 2e étage avec des colonnes ionniques et un 3e étage avec des colonnes corinthiennes. Le tout avec une grande sobriété propre à l'art classique. Au contraire, Saint-Paul-Saint-Louis est, elle, le symbôle parisien de l'art baroque : les chapiteaux corinthiens sont utilisés à tous les étages (c'est l'ordre architectural le moins sobre avec ses feuilles d'acanthes) et surtout la façade est surchargée par un décor envahissant et aux formes courbes là encore typique de l'art baroque... Il se trouve que j'ai choisi ces deux façades pour expliquer à mes élèves de 4e la différence entre le style classique et le style baroque.
3°) Christophe Girard continuant de lire sa notice s'est arrêté sur le fait que la Compagnie de Jésus avait été dissoute en 1762 en laissant entendre qu'il y avait un lien avec la Révolution française en précisant que celle-ci avait éclaté 27 ans plus tard. Cela m'a rappelé ma professeur de français de 1ère en lycée qui, à propos d'une chronologie sur le XVIIIe siècle, affirma en voyant l'interdiction de l'ordre Jésuite en France en 1762 que ce devait être une erreur et que la bonne date devait être 1792... J'étais alors intervenu pour lui rappeler que la date était bien 1762 et que cette interdiction n'avait rien à voir avec la Révolution française. En effet, l'interdiction de la Compagnie de Jésus par Louis XV a en fait été le signe d'un renforcement de l'autorité royale -avec le soutien cette fois sans faille des Parlements- contre un ordre monastique jugé trop soumis à Rome et surtout complaisant à l'égard des théories régicides. Pour mémoire, les Jésuites ont été accusés d'avoir encouragé les assassinats de Henri III en 1589 et de Henri IV en 1610. L'interdiction des Jésuites en France doit ainsi être mise en relation avec la tentative d'assassinat perpétrée par Damien en 1757.
Bien sûr tout le monde ne peut pas être agrégé d'histoire comme notre maire d'arrondissement, madame Bertinotti. Je ne suis moi-même qu'un modeste agrégé d'histoire-géographie du secondaire. Les erreurs que j'ai citées non rien de dramatiques... J'aurais aimé en parler avec Christophe Girard mais il est parti avant la fin de la session des questions au public. J'espère qu'il ne portera pas ombrage de cette note lui qui se montre toujours d'une grande courtoisie à mon endroit même s'il sait que je ne l'ai pas soutenu lors des dernières élections municipales. Belle leçon de tolérance dont les Jésuites n'ont eux pas toujours été des modèles puisqu'ils ont par exemple inspiré à Louis XIV la révocation de l'Edit de Nantes qui a interdit le protestantisme en France en 1685.
Pour finir, l'important est que le Conseil d'Arrondissement a voté le principe des travaux pour un coût de 4 200 000 €.
je ne suis pas d'accord avec toi sur un point. Je ne crois pas que la dissolution de la Compagnie de Jésus en France soit un signe de l'autorité royale. Il semble que Louis XV le Bien Aimé (dont le lien avec la Lorraine n'est plus à démontrer) ait été forcé à cette décision par les "Lumières", et que c'est bien malgré lui qu'il ait dû se résoudre à cette solution.
Mais je ne suis pas agrégé d'histoire...
Rédigé par : Lionel | dimanche 22 juin 2008 à 20h26
Ce commentaire tardif d'un scientifique passionné d'histoire.
Je recommande à ceux qui s'intéressent
à la dissolution de l'ordre des jésuites par le roi Louis 15, la lecture de "histoire de la compagnie de Jésus" par Crétineau-Joly, tome 5,
1845. Le chapitre 4 page 218 est consacré à la dissolution de l'ordre. Je résume: les ennemis de l'ordre outre d'Alembert et Voltaire (qui a par ailleurs défendu l'honneur de l'ordre dans une autre affaire criminelle)sont les jansénistes, les intrigues de cour autour de Choiseul, la richesse de l'ordre source de convoitise (cf les Templiers), la guerre franco-anglaise de l'époque (la dissolution de l'ordre a servi d'écran de fumée au roi pour masquer la perte de territoires au profit des anglais), une énorme faillite d'un membre de l'ordre aux Antilles (religion et commerces font mauvais ménage) et surtout le parlement de Paris...
Comme souvent les choses sont complexes.
Laurent
Rédigé par : Laurent PS 4e | mardi 15 juillet 2008 à 14h20