Demain, jeudi 11 juin, l’Éducation Nationale est touchée pour la 2e fois en quelques semaines par un mouvement de grève qui dénonce la Réforme des Collèges. Voici un article pour expliquer ma position (celle donc d'un enseignant qui exerce en collège) à ce sujet.
Mon article ne plaira pas à tout le monde, mais sur ce blog, j'ai toujours eu l'habitude d'essayer de donner librement mon opinion.
Tout d'abord, je tiens à préciser que contrairement à certains de mes collègues, je ne suis pas un grand fan de la grève. Dans l’Éducation Nationale, à force d'y recourir, je finis par avoir l'impression que l'opinion n'est plus à l'écoute des revendications et du mécontentement que peuvent ressentir légitimement -parfois- les enseignants.
De plus, l'éducation n'est pas un service ou une activité comme une autre. Le fait de laisser des élèves sans cours n'a pas la même conséquence qu'arrêter la production de produits en usine. Quand on stoppe l'enseignement, on peut observer une grande déperdition dans le travail des élèves. En ce 11 juin, où les dernières heures utiles permettent de boucler les programmes, cette grève me semble peu opportune.
Enfin, pour les questions relatives à l'éducation, il faut que les enseignants ne considèrent pas qu'ils doivent être sytématiquement en première ligne. Si une partie de la réforme est à dénoncer, il faut que l'ensemble de la population proteste et réagisse. Le risque autrement est de sembler faire du corporatisme, un reproche souvent adressé aux enseignants.
Sur le fond, c'est-à-dire ce qui concerne la réforme, il est à mon avis difficile d'avoir une opinion simpliste :
- je déplore le fait que l'on cherche à remettre en cause des dispositifs qui permettent aux élèves qui réussissent le mieux d'avoir un enseignement de qualité. La disparition totale des classes européennes, du Latin, et les classes bilangues serait une erreur. Elle risquerait de détourner certaines familles de l'enseignement public ce qui serait une grave erreur.
- je suis inquiet par les conséquences que pourraient avoir un recul de l'apprentissage de l'allemand, ce qui semble une des conséquences de la fermeture de classes bilangues. Alors que l'Allemagne est notre principal partenaire européen, il est important de maintenir et voir de diffuser l'apprentissage de cette langue. Tout en étant enseignant en section internationale britannique, je considère que la massification de l'apprentissage de l'anglais est un extraordinaire appauvrissement, notamment pour l'idéal européen
- enfin, je suis révolté par la méthode qui a consisté à publier le lendemain même du précédent mouvement de grève un décret sur une réforme qui reste très contestée. Ces méthodes brutales rappellent ce que je n'aimais dans la façon d'exercer le pouvoir sous la présidence précédente. "Moi, président", s'était engagé à faire "en sorte que les partenaires sociaux puissent être considérés, aussi bien les organisations professionnelles que les syndicats". Promesse oubliée ?
Cependant, plusieurs points me conduisent à avoir quelques réserves sur ce qui est dénoncé de façon parfois un peu caricaturale :
- en ce qui concerne les programmes d'Histoire-géographie [Un sujet qui me concerne particulièrement], on a un peu entendu tout et n'importe quoi. L'idée de rendre certains chapitres optionnels ne me semblait pas complètement absurde. Si chacun fait confiance aux enseignants, je ne vois pas ce que cela avait de révoltant. Le fait de préciser qu'il était inadmissible que la naissance de l'Islam soit un chapitre obligatoire avait quelque relents qui fleurent bon l'extrême droite. Les programmes tels qu'ils sont proposés restent très inspirés par ceux qui ont été mis en place à partir de 2009... sous la président de Nicolas Sarkozy (notamment le chapitre qui concerne l'esclavage au XVIIIe siècle que -je ne sais pas pourquoi- certains semblent trouver inopportun). Cela n'empêche pas bien sûr de poser la question de recalibrer les programmes de collège vers ce que certains appellent le "roman national" pour que l'Histoire et la Géographie forment des citoyens éclairés mais qui n'oublient pas la nécessité de se reconnaître dans les valeurs de la République française.
- l'idée de dire qu'il est anormal que seuls les "bons" élèves aient des horaires en plus me paraît frappé du bon sens. En soulignant, le fait qu'il faut trouver davantage de moyens pour les élèves en difficulté, la réforme des Collèges est loin d'être absurde. Il faut admettre que souvent les élèves en difficulté -qui auraient besoin de davantage d'enseignements- sont ceux qui en ont... le moins.
- enfin, en ce qui concerne la mise en place d'enseignements interdisciplinaires, j'ai toujours été un partisan des croisements entre les disciplines afin de donner davantage de sens aux enseignements. J'ai beaucoup apprécié les "Itinéraires de Découverte" et les "Travaux croisés" qui avaient existé à la fin des années 1990 et dans la 1ère partie des années 2000. Leur disparition a été une erreur. Le vrai problème est que de nombreux enseignants sont opposés à ce type d'approches en considérant que ce n'est pas un enseignement "sérieux". La réforme de Mme Valaud-Belkacem n'aura pas de sens si on ne fait pas davantage œuvre de pédagogie et de formation pour aider les professeurs dans cette voie.
- l'idée de permettre à chaque collège de gérer librement de 20% des horaires mis à la disposition des établissements est une vraie gageure car elle suppose que les logiques de défense de chaque discipline soient remises en question. Cependant, c'est un pari qui peut réussir si les équipes pédagogiques sont soutenues. Il serait bon d'ailleurs de préciser que ces 20% permettent de mettre en place des parcours qui peuvent ressembler aux options telles que les sections européennes ou l'enseignement du latin.
A mes yeux -et là je suis en désaccord complet avec le gouvernement- ce qui reste le vrai problème de l'enseignement est le fait que trop d'élèves sortent de l'école primaire avec des lacunes considérables en ce qui concerne la compréhension de l'écrit. Malgré les déluges de propagande à ce sujet, l'ARS (= Aménagement des Rythmes Scolaires) en multipliant les activités périscolaires n'est pas la solution. Il faut dans les premières années d'école recentrer l'apprentissage sur les savoirs fondamentaux : lire et écrire.
Je suis conscient que mon article ne plaira pas à tous, tant parmi les adversaires que les partisans de la réforme des collèges mais j'ai essayé d'expliquer mon point de vue en évitant les discours simplistes.
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