Je continue avec cet article un "spécial Russie" que j'ai commencé hier avec une évocation de la tsarine Catherine II.
Le groupe UMP du conseil de Paris s'est trouvé un cheval de bataille : donner le nom d'une place à l'écrivain russe Alexandre Soljénitsyne, prix nobel de littérature en 1970. Mon ami Vincent Roger a par exemple défendu cette position sur son blog. Le voeu a été déposé par Jérôme Dubus, conseiller de Paris du XVIIe arrondissement, lors du conseil de Paris du 22 septembre. Cet élu a proposé de donner ce nom à la partie centrale du rond-point de la Porte Maillot (voir Le Parisien du 22 septembre 2008).
Je préfèrerais pour ma part que l'on laisse en paix Soljénitsyne, mort en août 2008 à l'âge de 89 ans, et qu'on cesse de vouloir à tout prix lui rendre hommage en donnant son nom à un lieu à Paris.
En effet, cet écrivain est indéniablement une des grandes figures de la résistance au totalitarisme soviétique, notamment avec le livre Une journée d'Ivan Denissovitch qui lors de sa publication en 1962 a levé le voile sur l'horreur du système concentrationnaire qu'était le goulag.
Cependant, 1er argument contre cette proposition, la règle d'après laquelle il faut attendre cinq ans après le décès d'une personnalité pour donner son nom à un lieu de Paris ne serait pas respecté. Il est vrai que Bertrand Delanoë a déjà enfreint cette règle pour deux sites (du 4e arrondissement) : le parvis Jean-Paul II en 2006 (le parvis de Notre-Dame) et le square Marie Trintignant en 2007 (l'espace végétal horrible qui fait l'unanimité contre lui en au conseil de quartier Saint-Gervais [séance du 5 novembre] et qui a remplacé l'ancien square situé en face de l'entrée de l'Hôtel de Sens). Je ne suis pas sûr que Soljénitsyne nécessite de faire une nouvelle exception, surtout quand on regarde de près qui était cet intellectuel.
En effet, cet historien s'est inscrit dans un courant de pensée avec lequel il paraît difficile de transiger : celui de l'extrême droite russe qui considère que les Juifs sont responsables de la Révolution d'Octobre. Dès 1975, ce thème apparaissait dans le livre Lénine à Zurich. On retrouve dans des livres comme Deux siècles ensemble (1795-1995) , les vieilles lubbies un peu nauséauses de la théorie du complot... Le titre lui-même soulignait que grâce au départ des juifs pour Israël après l'éclatement de l'URSS, la Russie se débarassait enfin des Juifs dont la présence dans l'Empire des Romanov avait été, d'après lui, une triste conséquence du partage de la Pologne en 1795... L'idée pour une ville comme Paris de célébrer un tel personnage n'a par conséquent rien de très enthousiasmant.
Autre argument de poids, Last but not least, parmi les erreurs que reprochait Soljénitsyne à Staline,... celle de ne pas avoir su maintenir un compromis avec Hitler (!) pour éviter au peuple russe les terribles ravages de la seconde guerre mondiale.
Andreï Sakharov (1921-1989), avant sa mort, avait d'ailleurs pris ses distances avec Soljénitsyne. Il lui reprochait la prétendue nécessité d'une "période autoritaire de transition...". L'auteur de L'archipel du goulag estimait qu'après un gouvernement révolutionnaire, un régime du type de Bonaparte en France et encore de celui du général Franco en Espagne s'imposait. Le bonapartisme a encore des adeptes en France, j'espère que ce n'est pas le cas du franquisme. On peut ainsi comprendre le vibrant hommage rendu par Vladimir Poutine à la mémoire de Soljénitsyne.
S'il faut très certainement rendre hommage à une victime du totalitarisme communisme, Andreï Sakaharov dont la mémoire est sans tâche serait beaucoup plus opportun. Il est, lui, décédé il y a presque 20 ans, donc le délai des 5 ans évoqué plus haut est largement respecté. Ce physicien qui était un des pères de la bombe atomique soviétique a montré un énorme courage en publiant en 1968 Ses Réflexions sur les progrès, la coexistence et la liberté intellectuelle. Cela lui a permis d'obtenir en 1975 le prix nobel de la Paix. Je pense ne pas me tromper en affirmant qu'à Paris il n'existe pourtant aucune avenue, place, rue ou même impasse qui lui soit dédié.
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